Itinéraire d’un peintre autodidacte
L’atelier, ou l’art de se créer un espace : entretien sur les débuts d’un peintre
Pour Laurent Quenec’hdu, la peinture s’est imposée très tôt, bien avant d’avoir un atelier ou même du matériel adapté. Dans cet entretien exclusif, il revient sur ses débuts, retrace l’évolution de son espace de création, décrit son processus artistique, et évoque les directions qu’il explore aujourd’hui. Cette conversation offre un éclairage précieux sur la trajectoire d’un artiste autodidacte, loin d’un parcours linéaire son travail et nourri par les années, les voyages, et l’exploration de nouvelle techniques.
À quel âge as-tu commencé à peindre, est-ce que tu avais un espace dédié dès le début ?
J’ai commencé la peinture assez jeune, vers 16-17 ans. C’était un peu brouillon au début, dans les ateliers d’arts plastiques à l’école dans les Côtes d’Armor. J’avais déjà la volonté de mettre beaucoup de couleur et d’y aller franco, donc ça ne correspondait pas forcément aux consignes ou aux devoirs qui demandaient plus de précision. Mais en général, j’étais plutôt bien noté.
À cet âge là, je n’avais pas d’atelier. C’était plutôt un coin de table, un coin de bureau, un peu dehors, dès que je pouvais saisir quelques pinceaux et un peu de couleur, je m’y mettais. J’ai surtout commencé sur des petits formats, sur du papier Canson… J’achetais de petits tubes de peinture acrylique dans le commerce. J’essayais un peu de tout : le fusain, le crayon, les collages… c’était surtout pour voir ce que ça donnait, étalé sur le papier. Ce n’était pas tant pour le résultat final que pour voir ce que ça devenait en cours de route.
Comment conciliais-tu cette passion avec ta vie étudiante ?
Quand j’ai démarré mes études en région parisienne, j’avais la chance de louer un petit pavillon avec un extérieur. Quand il faisait beau, je sortais un chevalet dans le jardin. Quand il pleuvait, je peignais à l’intérieur, mais on trouve toujours une place. Même dans un petit appartement à Montreuil je peignais sur une table en bois posée sur des tréteaux. Ce qui est compliqué, ce n’est pas tant de peindre sans place, c’est de devoir tout ranger à chaque fois. Un atelier, ça permet de tout laisser en place, de reprendre plus facilement.
C’est à ce moment là que j’ai découvert que les toiles, ça coûtait cher ! Même très cher quand on est étudiant, et la peinture aussi. J’ai acheté quelques vraies toiles, mais je me suis vite rendu compte que j’aimais peindre de grands formats. Alors je récupérais des grands cartons, des panneaux publicitaires, tout ce qui pouvait être plat et assez grand. Je récupérais ça dans les rues de Paris : panneaux, éléments de vitrines, cartons rigides sous les palettes... Du moment que c’était plat et qu’on pouvait y étaler de la peinture, je les prenais. Ça me permettait de peindre sans que ça me coûte trop cher, voire rien du tout. C’est pour ça que pour mes premières grandes toiles, les supports sont surtout du carton. Si on gratte un peu certaines toiles, on pourrait trouver “L’Oréal Paris” en dessous !
J’ai beaucoup découvert la peinture et les grands peintres quand j'étais jeune, non pas par les musées parce que toujours les moyens mais notamment par des grands livres d’arts qui étaient vendus pas très chers dans une librairie parisienne du côté de Saint Michel. Les grands peintres comme Picasso, Munch, Kandisky ont beaucoup influencés mon style. Les impressionnistes aussi avec leurs plans de couleurs. Van Gogh aussi avec ses peintures épaisses étalées sur la toile qui permettent à l’oeuvre de prendre de l’ampleur.
Qu’est-ce qui était le plus difficile à gérer sans atelier : le matériel, l’espace, le temps ?
Pour le matériel, je récupérais. Pour l’espace, comme je le disais, quand on a envie de peindre, l’espace, ça ne compte pas vraiment. Ce qui était contraignant, c’était de devoir tout ranger à chaque fois. Pour le temps, ça marchait par périodes. Parfois je ne peignais pas pendant un moment, et puis l’envie revenait. Une fois qu’on démarre une œuvre, on a envie de la faire évoluer, de continuer.
Qu’est ce que ça change d’avoir ton propre atelier ?
Depuis qu’on est en maison, on a plus de place. Et dernièrement, on a pu construire un atelier dédié. Ça permet vraiment de produire et d’être tout à fait à l’aise pour peindre. Ce que l’atelier m’a permis aussi, c’est de reprendre des œuvres plus anciennes. Certains tableaux avaient vieilli ou manquaient de profondeur. Je les retravaille, je redonne des couleurs plus vives, je leur offre une deuxième vie. C’est intéressant de retracer et retravailler des œuvres d’il y a 10, 20, 30 ans. Tout ça, c’est grâce à l’espace de l’atelier.
C’est aussi bien pour stocker toutes les toiles ! J’en met beaucoup sur les murs, quand c’est possible. Ensuite, il a fallu trouver des espaces de rangement au fil du temps. Aujourd’hui, j’en ai beaucoup ! Mais avec les années, mes espaces de vie ont grandi aussi. Mais la peinture pour moi ça reste une question d’envie : on peut avoir un atelier, si l’inspiration n’est pas là, on ne l’utilise pas.
Aujourd’hui, dans ton atelier quels sont tes rituels ?
Surtout pas de silence ! J’adore travailler en musique. Pour moi, musique et peinture vont ensemble. J’écoute souvent la musique fort, de la musique punchy. J’aurais du mal à peindre en silence. Le fond musical joue sur l’inspiration, et parfois même sur le mouvement des pinceaux.
On est deux dans l’atelier, moi et ma compagne, chacun son espace et ce n’est pas du tout dérangeant, au contraire, c’est agréable. Il faut juste s’entendre sur la musique ! Elle fait des choses plus minutieuses, moi, je me laisse porter, je ne planifie pas. Je découvre en même temps que je crée. Le côté impulsif de la peinture, j’y crois beaucoup. C’est aussi pour ça que la musique est importante, elle donne du rythme.
Et l’organisation de ton atelier, tu l’as pensée comment ?
Je travaille sur une grande table d’architecte. Elle peut se mettre droite comme un chevalet, mais je la laisse à plat, surtout pour éviter les coulures, comme j’utilise beaucoup de peinture. J’ai acquis cette ancienne table d’architecte au look vintage que j’aime beaucoup. On a conçu l’atelier en pensant à cette table, elle fait partie intégrante du lieu. Elle me permet de travailler sur tous formats, notamment les grands, que je privilégie.
J’ai aussi tous mes pots de peinture à disposition, principalement de l’acrylique, un peu de peinture à l’huile. Je fais pas mal de mélanges pour créer mes couleurs. Côté pinceaux, pas de grandes marques : des basiques. Je commence au gros pinceau, puis je passe à plus petit au fur et à mesure que la toile se précise. Pendant ma période de ‘pointillisme’ inspirée de l’art aborigène, j’utilisais des baguettes de bois, pour poser la peinture en gouttes. Là, il fallait travailler à plat, c’est plus minutieux.
Comment décrirais-tu ton processus artistique ?
Quand je commence sur une toile blanche, je ne sais pas ce qui va en sortir. Et c’est pour ça qu’il y a un nombre de tableaux faits, défaits, recouverts, retravaillés… parfois jetés, mais rarement. Souvent, je recouvre, par économie de toile, et parce que j’aime l’épaisseur, donc mettre une nouvelle couche de peinture ne me gêne pas. Je commence souvent par faire un fond, puis les superpositions donnent le ton, font surgir les éléments qui finissent par s’installer. L’œuvre prend sens pour moi, mais elle peut en avoir un autre pour quelqu’un d’autre. Mon style est assez expressionniste. On y voit ce qu’on a envie d’y trouver.
Le côté plat de la toile, parfois, je trouve ça un peu ennuyeux. Alors j’ajoute de la matière, je fais des collages, j’utilise parfois de l’enduit, pour donner de l’épaisseur. J’aime bien quand c’est épais, ça donne de la vie à la peinture. Quand on s’approche, on voit les couches, les superpositions. Et quand on s’éloigne, on voit ce que les couleurs donnent ensemble, les perspectives apparaissent et les distances rajoutent des choses au tableau.
Qu’est-ce qui a le plus changé dans ta façon de créer entre tes débuts et aujourd’hui ?
Finalement, pas tant que ça. J’aborde mes toiles de la même manière. Je ne sais jamais comment une toile va se terminer, c’est pour ça qu’on retrouve un style expressionniste dans toutes mes œuvres, avec notamment ces contours noirs de différentes épaisseurs. Ils étaient là dès les premiers tableaux. Certaines formes reviennent aussi : des formes arrondies, les couleurs, et ce tracé noir qui renforce la géométrie.
Après un voyage en Nouvelle-Calédonie, j’ai eu une période d’inspiration aborigène. J’ai créé beaucoup d’œuvres dans cet esprit. Mais le fond reste toujours le même, fidèle à moi-même. J’ai eu plusieurs périodes, influencées par les voyages, les découvertes. J’ai aussi fait du collage très jeune. Et plus récemment, je me suis remis à un mélange peinture-collage, qui m’intéresse beaucoup. C’est une voie que j’ai envie de continuer à explorer
On a donc ton parcours artistique passé, présent et futur ! En partant des origines de ton art, de ton atelier aujourd’hui, et maintenant une entrevue de ce qui est à venir.
Oui, le collage me passionne énormément. La façon de l’intégrer dans les œuvres, le rendre assez présent… C’est souvent le point central dans mes dernières œuvres, avec des visages qui apparaissent, pris dans la peinture, quasiment prisonniers !
Propos recueillis par sa fille Léa Quenec’hdu